
J’y étais déjà allé voilà quelques années avec mes parents aussi, ils connaissent le coin, ils ont connu des gens qui y ont vécu, même certains membres de leur parenté. Déjà la veille, j’avais placé la demande avant de me rendre à Matane et je voulais y aller, avec eux, pour vivre ces moments privilégiés. Ces souvenirs de toute une vie qui dansent dans leur tête sont riches et c’est à nous d’aller les chercher, malgré le temps qui semble nous manquer.

Le premier arrêt fut consacré à la maison de ma jeunesse, celle de la rue Les Saules à Matane qui a bien changé, tout comme la rue elle-même d’ailleurs : une toute petite ruelle, ne comportant que 4 ou 5 maisons, selon les époques, et se terminant par un « p’tit bois », lequel boisé a disparu depuis, envahi par des habitations. La maison n’est plus que l’ombre de mon souvenir, le rouge a remplacé le vert, art oblige!
Ensuite, dans les mêmes coloris, celle de la rue Blouin, qui, me semble, était plutôt bleue malgré que je n’y ai pas personnellement habité… et puis nous sommes passés devant celle de St-René, devenue rose, alors que celle-là était peinte en blanc et rouge auparavant! Rose, je dois dire que ça frappe. Elle aussi, son environnement est en train d’être modifié énormément puisque la route provinciale, la 195, qui actuellement passe devant la maison, passera derrière. Les travaux sont en cours, et le champ où notre Hugo marchait sur la neige croûtée sans « caler » alors que j’essayais de le ramener à la maison n’existe plus.

Sans avoir eu le temps véritablement de m’en apercevoir, nous avions quitté l’asphalte. Non pas que Papa avait quitté la route, loin de là, malgré ses 84 ans, il défend fort bien son expérience de chauffeur; non, c’était plutôt l’asphalte qui avait quitté la route. Dans l’arrière-pays, là où nous allions, il n’y avait, à l’époque, que le village lui-même, dont la route était asphaltée, tout le reste était en gravier, des ch’mins d’terres, des ch’mins d’gravels! Mardi, la poussière ne nous embêtait pas beaucoup, il avait possiblement neigé dans la nuit, c’était donc un peu détrempé, et Papa disait que les chemins étaient « usés ». Nous le voyions bien, il n’y avait pratiquement pas de graviers sur la route, c’était dur, solide, du « cran pis d’la roche! », comme les lots donnés aux colons de l’époque, « des terres de roches »!
On s’est promené à travers les rangs, simples et doubles, le 9 et le 11-12, et le p’tit 14, le renversé aussi, en discutant des églises, des écoles, des moulins, et des gens qui les faisaient vivre. J’aime aborder avec mes parents ces thèmes qui parfois semblent anodins mais qui, sans être enseignés à l’école souvent, ont bâti le pays, notre pays. En passant, combien de jeunes Québécois savent faire la différence entre un rang simple et un rang double (il n’est pas question de tricotage ici, mais de colonisation) ?
Mardi, j’ai entendu des termes que mes enfants n’entendent pas souvent : la Grande Ligne, le fronteau, un arpent, un lot, une coulée, un ch’min d’travers. Des mots venus d’une autre époque, pour plusieurs d’entre vous, des mots que « Les belles histoires des pays d’En-Haut » utilisent souvent, des mots en Noir et Blanc qui ont été à l’origine de la très très grande majorité de nos familles, ce sont des sons que nos écoles devraient enseigner par devoir de mémoire car à défaut de savoir où l’on se trouve et où l’on va, tous pourraient au moins avoir une petite idée de l’endroit d’où ils viennent!

Nous nous sommes rendus au cimetière, encore bien entretenu par des âmes charitables, lequel cimetière est à peu près la seule trace tangible de la vie du village de St-Nil qui reste à ce jour. La forêt reprend sa place, même si les chasseurs l’envahissent et même si certaines coupes privées la blanchissent de quelques beaux spécimens.
Sans hésitation, mes parents et moi sommes descendus de voiture pour faire le tour des quelques épitaphes du cimetière, lisant les noms un à un, comme s’ils étaient de la famille. La dernière sépulture a eu lieu en 2001, après la fermeture du village (1974), alors que les cendres du défunt furent mises en terre aux côtés de son père. Vous pouvez trouver beaucoup de détails sur St-Nil et sa fermeture sur le site de Gaétan Bernier en cliquant ici.
L’entretien de ce petit cimetière nous a étonné, un village qui, je le rappelle, s’est éteint il y a 37 ans! La photo en témoigne, c’est impeccable, modeste comme l’était le village, mais impeccable! Chapeau à ceux qui ont à cœur de le maintenir ainsi!
Nous sommes revenus sur nos pas, trouvant de nouvelles routes ouvertes qui n’existaient pas à l’époque, remarquant au passage que même l’asphalte du village a pratiquement complètement disparue, et nous sommes rentrés à Matane.
Pendant que le souper se préparait tout seul (avec ma mère, j’ai toujours eu l’impression que les repas se préparaient par eux-mêmes !), nous nous sommes regroupés tous les trois autour de l’écran de mon ordinateur portable pour visionner les dernières photos de ma p’tite famille. Ça nous permet de se tenir au courant les uns des autres… Je garde un répertoire spécifique à cet effet.
Nos conversations se sont poursuivies après le souper, alors que Papa nous jouait les deux dernières pièces en cours d’apprentissage lors du passage d’un couple d’amis musiciens à la maison. Disons aussi qu’il vient de débuter la fabrication de son quatre-vingtième violon, affirmant encore une fois qu’il s’agit là de son dernier. 80 violons, et ça ne sonne la ferraille. Celui avec lequel il joue en ce moment, je crois qu’il s’agit du soixante-dix-neuvième, a une sonorité particulièrement riche. Il est très fier de ses instruments, à juste titre, car ce sont des instruments de grande qualité.
Quelques minutes après 21 heures, ma Dodge vengeresse rougeoyait encore sur la 132 pour me ramener vers Québec, les oreilles pleines de jazz, la tête pleine de souvenirs, laissant à mes parents la promesse de revenir avec ma descendance pour Noël…
