
À la suite de la lecture de la loi concernant les soins en fin de vie, ma première pensée a été : « j’espère ne jamais me retrouver confrontée à une situation où je devrai proposer l’aide médicale à mourir! ». Puis j’ai pensé à tous ces médecins qui avaient jadis lu et juré par le serment d’Hippocrate qui stipule qu’ils ne remettront à personne une drogue mortelle ou ne prendront l’initiative de la proposer. Quoi que ce serment soit légèrement dépassé sur plusieurs aspects étant donné l’époque à laquelle il fut rédigé, il faut cependant garder en tête qu’un médecin pratique cette fonction avant tout pour soigner et guérir un patient malade. Avec les limites sans cesse repoussées de la médecine moderne, la population vit plus longtemps engendrant ainsi des maladies chroniques souffrantes et pernicieuses qui peuvent être fatales aux tristes élus. C’est donc dans la foulée des réflexions sur les morts lentes et sur la qualité de vie diminuée que cette idéologie entourant la mort dans la dignité est née. Mais quelle est donc cette dignité tant désirée?
Le Larousse affirme que ce mot réfère au respect mérité par quelqu’un. À ceci, je ne peux répondre que par mes valeurs profondes. Malgré le caractère démodé de ce que j’avance, je m’écrie que celui qui est le seul digne de respect est le Dieu qui a créé le ciel et la terre ainsi que chacun des humains la peuplant. Jamais personne ne pourra saisir l’étendue de sa grandeur, de sa gloire et surtout de son amour. Il est indéniablement le seul digne de donner la vie et la mort. Cette pensée, que certains jugeront vieux jeu, je la trouve tout à fait d’actualité. Dans cette ère d’individualisme, nous percevons notre propre existence comme étant une fin en soi. Tandis que bien au contraire, nous faisons face à une entité bien plus grande que nous pouvons même l’imaginer. Tant que je vivrai, je ne pourrai jamais être en accord avec le fait d’enlever la vie à qui que ce soit, qu’il s’agisse d’un fœtus de 12 semaines ou un vieillard de 83 ans.
Cela dit, ayant l’éternité en tête, je sais que mon passage sur cette terre sert à être une ambassadrice de Dieu, qui en est un d’amour et de grâce. En ce sens, mon désir est, d’une part m’exprimer sur ce sujet lorsque celui-ci est abordé et d’autre part, d’offrir des soins d’une qualité digne de ce Jésus offrait à ces gens dans le besoin qui venaient à lui. Ainsi, je prône l’accessibilité des soins de fin de vie spécialisés et la propagation de l’enseignement à cet égard. Il est primordial de pouvoir offrir une alternative alléchante aux patients souffrants et se sentant délaissés par le système de santé actuel. J’aime lire ce que la loi propose à ce niveau, mais outre quelques exceptions, je ne peux retrouver ce sentiment paisible lorsque je rentre dans une des chambres que nous transformons l’instant de quelques jours, enfin jusqu’à ce que la personne ne décède, en chambre de soins palliatifs.
Ce que je constate lors de mes diverses expériences sur mon unité de chirurgie, c’est l’incongruité qui règne entre les soins idéaux décrits dans la loi concernant les soins de fin de vie et ce que vivent réellement les patients. Il n’y a qu’une infime part des gens qui sont en fin de route qui bénéficient du privilège d’avoir accès à de vrais soins palliatifs; soit dans une maison ou une unité consacrées à cette mission ou alors dans le confort de leur domicile. C’est justement là ce qui m’attriste le plus. Car si les soins offerts sont déficients, les gens auront davantage tendance à se tourner vers l’option de la mort par injection. Pourtant, j’ai lu sur le site du ministère de la santé et des services sociaux du Québec, qu’ailleurs dans le monde, les personnes choisissant l’option de la médication terminale ne forment qu’un 2% de cette population. Ce que nous souhaitons en tant que société est que l’individu malade puisse consciemment prendre un choix éclairé et libre, c’est donc primordial que les deux choix aient une valeur véritable. Ce que j’ai vit dans le cadre de mon travail lorsqu’une personne en soins palliatifs est admise sur notre département, c’est le manque de temps flagrant à lui consacrer. Le dit-patient aura éventuellement la réputation d’être trop demandant pour tous les petits soins qu’il osera demandé! Les infirmières sont surchargées, les chambres totalement inadéquates et les outils à notre disposition très limités afin de pouvoir soulager les douleurs, malaises ou inconforts en tout genre.
Parfois, je suis gênée du peu que nous pouvons faire. Par exemple, dernièrement nous avions une dame atteinte d’un cancer quelconque aux prises avec de multiples métastases cérébrales. Elle vivait jusqu’à tout récemment chez elle, mais suite à un accident vasculaire cérébral qui a complètement paralysé le côté gauche de son corps, il lui était dorénavant impensable de demeurer seule. Ses besoins étaient rendus trop grands, son invalidité presque complète. À son arrivée à l’hôpital, je ne sais comment ni pourquoi, mais elle fut placée dans une chambre de quatre patients. J’imagine qu’il ne devait plus rester de chambre convenable pour la situation, sinon quelle erreur de la part de la gestionnaire. Seulement quelques jours suite à son admission, elle n’eut pas le choix d’être placée en isolement préventif, simplement par le fait qu’un patient de la chambre avoisinante avait été déclaré porteur d’une maladie et comme il avait utilisé la toilette commune aux deux chambres, tous les patients de ces chambres avaient dû subir ce sort. Ça me désolait tellement de la voir dans ce coin mal pensé et exigu. Entourant sa tête, se trouvait la poche à linge salle avec l’énorme sac de poubelle dans lequel nous mettions nos blouses jaunes suite à notre passage. À sa droite, il y avait la fameuse chaise d’aisance. Sa table où était entreposés divers objets personnels était tout au pied de son lit par manque d’espace et comme elle était partiellement paralysée, elle n’y avait accès que lorsque quelqu’un daignait venir la placer adéquatement. La pauvre dame. Ses fonctions cognitives et physiques diminuaient rapidement et sa demande était faite depuis déjà quelques temps dans une maison de soins palliatifs sans suite pour le moment. Les médecins avaient avancé un pronostic de un à trois mois dans les circonstances. Elle m’avait dit un soir qu’elle ne souhaitait pas que sa visite vienne la voir dans cet univers si peu adapté. Son fils revenait du pays fort exotique dans lequel il avait établi domicile, mais elle préférait attendre d’être à Michel-Sarrazin avant de le rencontrer.
Un soir d’angoisse, elle me dit : « si je peux mourir que j’arrête d’être si malheureuse ». Les conditions étaient tellement si peu favorables à ce que le processus vers sa mort soit paisible! Je suis presque convaincue qu’elle aurait été une candidate ou alors qu’elle en sera une à l’aide médicale à mourir simplement par le fait que les soins offerts ne couvraient pas l’étendue méritée. La dignité, c’est avoir droit aux meilleurs soins toute sa vie, jusqu’à ce que la mort ne vienne.
Personnellement, je suis convaincue que mon rôle en tant qu’infirmière n’est pas de juger la façon dont mourra mon patient, mais bien de lui prodiguer les soins opportuns et justifiés pour la condition de ce dernier d’un cœur sincère. Sachant qu’il aura lui-même à rendre compte de ses actions et de ses décisions lorsque l’heure du retour de mon Sauveur sera venue.
Finalement, je suis bien consciente que la lecture de cette réflexion n’a pas dû vous rendre tout à fait à l’aise, selon le fait que vous ayez déjà mentionné, lors d’un cours, être totalement athée. J’espère sincèrement ne pas m’être exprimée avec trop de maladresse et ne pas avoir blessée personne par mes propos. Cependant, ce que j’ai écrit, je l’assume totalement.