L'avant-midi appartient à ceux qui se lèvent tôt
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Épilogue rouge

6/5/2016

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Épilogue

Dussè-je me mettre à l’écriture d’un épilogue ou d’une conclusion à cette courte série dédiée aux symboles que j’ai nommée « Rouge Fiction » que ce serait la partie que je suis en train de vous dévoiler maintenant !

Je le confesse, certaines parties de cette « rougeasse » et parfois curieuse suite, étrange certes pour certains, sont extraites de vieux textes semi-scolaires que j’avais commis avant même d’avoir l’âge adulte, et que j’ai retrempées dans une plume plus ou moins conséquente pour y ajouter certains détails issus de la réalité d’aujourd’hui. Cela m’a permis de comprendre que mes mauvais penchants sont demeurés les mêmes depuis toutes ces années, et que le plaisir d’écrire persiste et demeure toujours aussi vif et vivant en moi. Les moyens ont changé, et le clavier ne me tache et ne me déforme plus les doigts, ni les lettres, comme le faisaient mes stylos-billes et mes plombs. Il est aussi beaucoup plus aisé de corriger les fautes de toutes sortes et de se creuser les méninges à la recherche du mot juste.

Ce petit exercice au jus de symboles m’a permis de vérifier à nouveau que l’écriture d’un livre, rêve inassouvi jusqu’à ce jour, rêve qui n’est jamais devenu un réel projet, reste un exercice extrêmement exigeant sous plusieurs aspects pour qui veut s’y mettre sérieusement. La création littéraire, et le fait de l’enrober dans des mots qui deviennent le véhicule de sa pensée, de relier tout cela ensemble pour en faire un tout qui résistera au temps, un certain temps en tout cas, demande de l’audace, de l’amour, de la persévérance, du travail, du plaisir et beaucoup d’énergie. Le talent ne représente qu’un faible pourcentage dans toute l’œuvre d’écriture, il me semble.

Merci à ceux et celles qui ont mis les yeux sur mes textes, en particulier sur les épisodes de cette petite série dont certains passages ont pu vous faire vous poser des questions car les symboles étaient éminemment présents et inhabituels pour mon type d’écriture. Vos commentaires sont toujours appréciés ainsi que votre silencieuse mais précieuse présence …

Il y en aura d’autres … j’aime trop écrire pour m’en passer !
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Mains rouges

4/5/2016

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Épisode 7

Le temps ne s’était effacé que fort peu de temps, même s’il ne m’était aucunement possible de le calculer en terme de temps comme tel, mais les faits étaient là, une fois les éléments temporels revenus, je n’étais qu’à quelques pas de l’endroit où je me souvenais me trouver au moment du sifflement. En fait, je revenais des WC et me dirigeais vers ma table, un nouveau pichet à la main. De dos, l’homme à la parole abondante, bien calé dans sa chaise inconfortable, tenait sa chope vide à la main, attendant qu’un bon samaritain la lui remplisse.

« Lorsqu’une chope est pleine, je la vide. Et lorsqu’elle est vide, je la plains ! » dit-il presque machinalement selon la vieille formule consacrée qui ne fait plus ni rire, ni sourciller personne, en me désignant sa chope.

« Servez-vous ! » répondis-je, sans émotions. Ce qu’il fit sans hésiter. Il l’aurait fait de toute manière …

Les moments de silence qui suivirent furent entremêlés du déplacement des deux paquets de cigarettes qui prirent différentes positions au centre de la table. Toutes ces manœuvres parfaitement inutiles qui ne menaient à rien rendaient l’homme encore plus mystérieux. Il me semble que ses agissements trahissaient une certaine forme de nervosité qu’il tentait de chasser. Je restais de marbre, le regardant sans cligner ni du gauche, ni du droit, sans même tambouriner des doigts sur la table, ce qui est pourtant souventefois mon habitude.

Pendant qu’il s’adonnait à son petit manège avec ses paquets, je me suis rendu compte que nous n’étions plus à la même saison, et probablement plus du tout à la même époque non plus. Je ne portais plus les mêmes vêtements, et entre nous, sur les deux chaises auparavant libres qui nous séparaient, l’une à gauche et l’autre à droite, autant pour lui que pour moi, la table étant ronde, deux manteaux d’hiver gisaient, sans corps les habitant. Le lieu avait changé et des éléments de décor avaient, disons, migré. Je connaissais la majorité des visages qui s’agitaient en ce lieu. En écoutant bien, une puce à l’oreille, je remarquai aussi que la musique qui bourdonnait dans la place ne relevait plus tout à fait du même style.

Devant moi, de temps à autres, l’homme disparait. Je ne le voyais plus. C’était comme si, en faisant tourner son ‘Export A’ et son ‘Caméo’, il changeait ma perspective. Avais-je trop bu ? Le calcul du temps était-il véritablement revenu à la normale ? Ou bien le grand horloger s’était-il mêlé les pinceaux ?

Quoiqu’il en soit, deux hommes, non je dirais, deux jeunes hommes, plus précisément deux jeunes qui avaient l’air d’être des étudiants, dont les traits m’étaient familiers, mais dont les prénoms avaient été effacés de ma mémoire, il me semble, se placèrent devant moi, et l’un d’eux, fébrile, nerveux, essaya de mettre un certain nombre de mots en ordre pour construire un phrase qui, à la fin, aurait dû avoir une signification plus ou moins compréhensible pour moi :

« Positif ! Que deux, nous ne sommes plus que deux. Marius ne veut pas traverser. Viens, viens nous aider. Il y a eu abus, son vaisseau chavire. Viens ! »

L’autre, acquiesçant :

« Ouais, trois, ce serait mieux ! Viens, autrement, on va l’échapper. Il ne pourra jamais traverser dans cet état. Viens. »

Les évènements qui suivirent ne se sont peut-être jamais déroulés véritablement, je ne saurais le dire. Le surplus de mousse que leur verre de bière laissait déborder ne présageait rien de bon, non plus que leur état général. La nébulosité de leur propos n’avait d’égal que la transparence jusqu’à l’invisibilité de l’homme à la parole abondante.

Cependant, comme je sentais tout de même dans leur confusion un sentiment d’urgence, d’une part, et que leurs yeux ne me laissaient aucun doute sur le fait qu’ils me connaissaient fort bien, d’autre part, il me fallait pour le moins leur donner l’impression que j’étais là, présent, et réagir. Ce que je fis en enfilant mon manteau d’hiver d’un geste brusque, comme pour démontrer que je comprenais ce qui arrivait, ce qui était loin d’être le cas, en me levant du même élan. Repoussant ma chaise, j’entrepris de les suivre.

En quittant ma table, je fus étonné de voir que toutes les chaises étaient libres, pas de manteau restant, pas de paquets de cigarettes. Il ne restait plus que ma chope plaintive, un pichet en mal de buveurs, et rien d’autres, ni visible, ni transparent. Où était-il allé gésir et cracher l’abondance de sa parole celui-là ?

À leur suite, à pas titubés, je les ai suivis, traversant les lieux où de plus en plus de personnes étaient agglutinés. Marius était assis tout près de la porte arrière. Je n’aurais pas su le nommer, mais lorsqu’ils me dirigèrent vers lui, seul à sa table, je savais que c’était lui. Ma mémoire semblait me revenir peu à peu, comme une copie de sécurité que l’on restaure sur son disque d’origine. Pas étonnant que je réagisse comme une machine !

Marius, cheveux noirs ébouriffés, presque imberbe sauf une moustache d’adolescent qui lui garnissait à peine le dessous du nez,  était un petit homme, au milieu de la vingtaine je dirais, qui créait des œuvres magnifiques, époustouflantes, simplement avec des points de différentes grosseurs. Non pas en reliant des points entre eux, certes non, mais en tapant un nombre incalculable de fois avec des crayons à l’encre particuliers sur le papier. Chaque coup donnait un point, et il pouvait faire varier la grosseur des points selon le crayon employé. Le résultat était toujours étonnant. J’avais été témoin, à plusieurs reprises, du procédé appelé pointillisme noir et blanc en pleine production.

Quel talent et quelle patience !

Mais là, Marius, dans sa vieille cagoule défraichie, se recroquevillait dans sa chaise, évitant tout regard, voire toutes lumières du monde externe. Il semblait se nourrir d’un univers intérieur éminemment difficile à partager, à saisir. Ces deux amis lui glissèrent quelques mots à l’oreille, et je fus surpris de les voir tous les trois traverser le seuil de la porte menant vers l’extérieur, et quitter. Je restai de marbre, subjugué, ou peut-être congelé par le froid et toutes ses vapeurs qui envahirent pendant des secondes trop longues mon espace vital. Le froid du dehors me mordait jusqu’aux os. C’était certainement un de ces jours où les thermomètres sont en manque de liquide et où leur niveau de mercure est si bas qu’il est à peine perceptible. Le peu de rouge qu’ils affichent nous rougit pourtant l’entièreté du visage, pour ne nommer que cette partie de notre corps.

J’ai vérifié la fermeture-éclair de mon manteau, relevé mon col, rajusté mes gants, et je les ai suivis, sans trop savoir ce qui m’attendait de l’autre côté de cette porte qui me séparait du froid.

Le froid mordant et sec était soufflé par un vent glacial. Aucuns flocons, aucune poudrerie, la neige au sol était trop gelée pour le quitter.

Les trois comparses se tenaient les uns près des autres, en caucus silencieux. Je m’approchai, ce qui brisa la glace, et me permit d’en savoir un peu long sur la situation sans avoir à en demander davantage, un avantage indéniable lorsque ta présence se veut plutôt incertaine :

« Je passerai l’premier. » dit l’un des deux qui m’avaient abordé en premier lieu. « Suivez-moi à 5-6 pieds. Le temps est froid, mais clair. Tout ira bien, Marius. » affirma-t-il en lui serrant les épaules pour le rassurer.

« Trois, tous les trois ensemble, coude à coude, on va t’suivre ! » concéda le second. Marius ne disait mot. Consentait-il ? Il n’en avait pas l’air. Quant à moi, je n’avais aucune idée du « passage » dont il était question. Mais mon courage devait aussi s’exprimer, et mes grelotements intenses s’intensifiaient intensément. Alors, j’annonçai, la guédille au nez :

« Rien ne sert de discourir davantage, il faut partir. Point ! »

L’effet fut immédiat, et nous partîmes aussi rapidement que nous le pûmes, compte tenu de notre état et de l’effet du froid sur nos muscles. Quelques pas plus tard, nous étions à traverser la rue puis mon cerveau alluma sa lampe de chevet pour éclairer la nuit qui, jusque-là, lui faisait office de compréhension. Effectivement, dès l’instant où mes oreilles, probablement rouges, sur lesquelles je commençais à sentir les morsures du froid, ont saisi les premiers craquements sourds des glaces sur la rivière, tout s’est éclairci. Et je comprenais tout à coup tout ce que mes compagnons d’infortune avaient essayé de me dire depuis le début, et surtout, l’aide demandée pour Marius.

Par le petit sentier emprunté par plusieurs, certains disaient les plus courageux, d’autres, j’en étais, parlaient de témérité inutile pour sauver quelques pas, quelques minutes, nous descendîmes sur la rivière gelée, tenant fermement Marius de chaque côté, alors que l’éclaireur nous précédait. Le soir était effectivement clair. Il était ainsi facile de se diriger.

Les craquements sourds, étouffés et caverneux des glaces entremêlés de rafales de vent nous glaçaient de la tête aux pieds, d’autant plus que nous n’étions nullement habillés pour ce genre d’expédition. Marius tenait bon. Il se plaignait du froid, de ses mains surtout. Elles n’avaient aucune protection, et il semblait incapable de les laisser dans ses poches, question d’équilibre. Elles rougissaient à vue d’œil. J’essayais de ne pas montrer que je nous trouvais inconscients au plus haut point de tenter le diable ainsi. Mon silence me servait bien. Les deux gaillards, celui d’avant surtout, semblaient se réjouir de la situation.

Je sentais l’eau qui coulait sous l’épaisse glace que les grands froids gaspésiens avaient formée. Parfois, je pouvais la voir par transparence. Nous évitions à Marius ce joli spectacle. La plupart du temps, les glaces blanches de neige traçaient déjà un sentier, vu le nombre d’inconsciences que ce cours d’eau a vu se manifester et de pieds le traverser. Marius suivait l’étroit sentier, alors que nous le tenions solidement de chaque côté.

Bientôt, l’éclaireur nous avisa de faire légèrement attention à une fissure plus marquée sur la surface gelée. Il l’annonça en essayant de ne pas ameuter ou apeurer Marius. Jusque-là, il n’y en avait eu aucune, pas une seule ! Deux mètres nous séparaient de l’autre rive, de la fin de notre périple, une fois cette fissure traversée … mais elle ne l’était pas, pas encore.

L’éclaireur se tenait de l’autre côté de la fissure. On y voyait l’eau couler. Elle pouvait mesurer, je crois, la longueur de mon pied, en largeur, un peu moins peut-être, sur une longueur d’homme, pas davantage. Il ne s’agissait pas de sauter pour passer de l’autre côté. Un pas normal, et le tour était joué, simplement.

Je le voyais dans ses yeux. Je le sentais dans ses paroles. Et des reflets bleutés en jaillissaient de ses mains. Marius ne voyait pas que c’était de l’eau qui coulait, il voyait du sang, rouge, rouge et bleu, mais rouge surtout. Il le disait à voix ténue comme pour ne pas élargir la brèche.

​Je mis un pied de chaque côté de la crevasse pour l’aider à la franchir, et mon compagnon fit de même, sans résultats. Nous lui avons offert de le placer sur nos épaules, en vain. Jamais, jamais il n’a voulu aller plus loin. Le précipice que cela représentait pour lui était trop profond, la faille était par trop large !

J’ai eu beau insister pour qu’ils restent, peine perdue, les deux gaillards  gagnèrent la rive, tout près, et disparurent dans la nuit, me laissant seul avec ce pauvre Marius dont les mains n’en pouvaient plus de geler et geler et geler encore.

Je refis donc le chemin dans l’autre sens aussi vite que nous le pouvions tous les deux pour minimiser les risques d’engelures importantes aux mains de Marius, ces mains si habiles et si créatives à la technique du pointillisme noir et blanc.

Marius m’obéissait. Nous ne disions que l’essentiel. Le moment est grave, nous le savions.

Une fois le parcours complété, un taxi nous amena à l’hôpital directement pour soigner les mains de ce pauvre Marius. Elle en retrouva l’usage normal que quelques semaine plus tard, elles gardèrent tout ce temps une vilaine teinte rouge violacée.

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Chemise rouge

29/4/2016

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Épisode 6

L’été arrivant, verte saison s’il en est dans mes vies, j’avais décidé de mettre de côté ma vengeresse dont les couleurs m’en faisaient perdre un peu trop depuis quelques temps. Sa « rougeoyance » extérieure s’était transmise à l’intérieur en me prenant une vie additionnelle à laquelle je tenais, d’autant plus qu’il ne m’était pas possible d’en maintenir le compte.

J’irai donc à pied, pour un temps en tout cas, jusqu’au prochain sifflement qui l’arrêtera, sans doute.

La sortie de la guérison m’avait déposé, au retour du temps compté, dans une rue de mon enfance. Rien ne semblait avoir bougé, à part quelques éléments d’éclairage et quelques détails sans grande importance. Peu de gens sur les trottoirs en ce milieu de soirée, peu de vie visible s’étalait à mes yeux eux-mêmes insensibilisés à la regarder.

La première poignée de porte qui s’offrit à ma main raviva ma mémoire; une grande poignée noire dont le fer forgé d’une autre époque laissait présager ce qui m’attendait de l’autre côté. Pourtant non ! Tranquillité, les étudiants qui fréquentaient ce lieu jadis ouvraient maintenant leur portefeuille plus tard. Quelques tables étaient honorées. Une musique de fond les entourait à peine et aucune fumée ne flottait au-dessus de leur tête, ce qui contrastait avec mon passé estudiantin. L’évolution, si je puis dire, avait fait son œuvre en faveur des poumons propres.

Quelques changements, quelques modifications apparentes, mais dans l’ensemble, je ne me sentais pas dépaysé. Le Vieux Loup avait conservé son cachet et ses propriétaires. D’un pichet et d’un verre bien armés, les deux accompagnés obligatoirement d’une salière d’usage pour augmenter le gout de ce liquide jaunâtre que j’ai toujours détesté et qui, de l’urine, possède toutes les caractéristiques, je m’attablai dans un coin, dos au mur selon mon habitude, pour admirer l’ensemble des comportements humains sous l’effet de la dive bouteille et des contacts avec leurs semblables tous différents.

Au début du second pichet, sans doute attiré par l’odeur, un homme s’approcha, tira une chaise en me regardant droit dans les yeux, s’assied et prit la parole sans attendre mon approbation. Il parlait avec abondance, sur le ton de la confidence, au point où je me pris à l’écouter sans rien dire, comme si le spectacle n’était que pour moi, comme si le rideau ne s’était levé que pour moi.

« Puis-je ? », dit-il poliment, en s’assoyant à ma table, devant moi, requérant mon attention.

J’opinai du chef en guise de réponse positive, tout en levant légèrement, comme pour saluer,  mon séant collé à ma chaise depuis un pichet déjà.

« J’avais dans la dizaine, peut-être un peu plus, mais pas au-delà de treize certainement. J’attendais l’un de mes meilleurs amis qui n’arrivait pas. J’étais chez mes parents, et lui chez les siens. Pour m’assurer que nous étions sur la même longueur d’onde au niveau de l’heure fixée, je lui donnai un coup de fil. À cette époque, les réseaux sociaux n’étaient même pas un germe d’idée. Personne ne pensait à une telle chose. »

« Sa mère me répondit. Je l’entendis l’appeler par son prénom et m’annoncer par le mien. Le ton de ses premiers mots dans le combiné résonne encore aujourd’hui, après plus de 40 ans, comme une tonne de briques qui s’écrase du toit d’un gratte-ciel. La conversation, le monologue en fait, fut bref, et sec : ‘Je n’irai pas, et je n’irai plus jamais non plus !’, ce sont ses mots très exacts. Et il respecta sa promesse sans jamais l’expliquer. »


« Je ne l’ai revu qu’à une seule reprise depuis ce temps. J’étais avec mon frère. C’est d’ailleurs lui qui l’a d’abord reconnu. C’était au cimetière. Il était assis sur une pierre tombale, sans bouger, seul, la tête basse. J’ai su après son départ de l’endroit, en allant jeter un coup d’œil sur l’épitaphe, que c’était celle de son père. »


« Pourquoi une telle phrase, un tel revirement, un tel coup de barre ? Plusieurs années après le coup de téléphone, au hasard d’une rencontre, sa mère m’a dit qu’à son avis, ce jour-là, elle et lui ne s’entendaient sur la chemise à porter, simplement. Il aurait préféré celle de couleur rouge, semble-t-il ! »


Il s’arrêta de parler, remis un peu de sel au fond de sa chope, y reversa de ce liquide que contenait le pichet, en prenant soin à ce que la mousse ainsi générée ne déborde pas de la chope, en dégusta une bonne lampée et me regarda un moment, en silence. Même silencieux, j’eus l’impression qu’il me parlait tellement ses paroles me déculottaient et me ramenaient impunément à mes propres souvenirs. Je savais qu’il m’enivrerait davantage que l’alcool à force de me laisser boire ses paroles. À un tel point que c’était maintenant lui qui vidait mon pichet !

Avant de reprendre, il sortit deux paquets de cigarettes d’un sac de cuir qu’il portait à la ceinture, et les déposa soigneusement sur la table, bien alignés l’un à côté de l’autre. Il mit le temps qu’il fallait pour bien les disposer. L’un était tout vert, un ‘Export A’, alors que l’autre, d’une dimension différente, aux cigarettes plus longues de toute évidence, contenait des menthols, des ‘Cameo’, un paquet aux couleurs vert et blanc. Je n’en avais pas vues depuis plusieurs années. Il n’en toucha pas une, vu l’interdit dans les lieux publics … mais il les regarda avec insistance, les dégustant, je dirais, à distance.

À nouveau, il se trempa les lèvres dans la bibine salée et se remit à discourir doucement en me regardant de ses yeux bruns vitreux. Ses premiers mots, trop faibles, ne parvinrent pas à mon oreille. Puis, le souffle de sa voix se rendit jusqu’à moi :

« Il est de ces histoires qui nous marquent au fer rouge mais dont on ne parle jamais. Elle nous tatoue de part en part, nous transperçant peau et cœur, comme un lacet de fer qui joindrait l’intérieur et l’extérieur d’une plaie sans jamais se cicatriser mais sans non plus laisser paraitre ses œillets de douleur. Ce sont des histoires de mes vies que je vous raconte, ici, à cette table. Je vous les laisse en héritage … ne vous en amusez pas outre mesure ! »

​Il détourna ses yeux vers la porte d’entrée, sur sa gauche. Ses derniers mots avaient perdu la douceur des précédents, et il semblait le regretter. Il regardait les personnes qui entraient, simplement pour ne pas me regarder. J’observais son petit manège sans rien dire, et sans lui en tenir rigueur. J’attendais la suite du spectacle … mais le sifflement annonçant un arrêt du calcul temporel mit fin à mon attente prématurément.
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Rougis

25/4/2016

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Épisode 5

Note de l’auteur : De nombreuses plaintes ont été reçues (et partiellement lues), suite à ma première mort, par des lecteurs verts qui prétextaient qu’elle ne respectait pas l’environnement. Je leur dirai que l’on meurt comme on peut, et que les symboles de la prose n’ont pas à tenir compte de la mode à la « Al Gore » pour s’exprimer. Ceci dit, comme une mort ne vient jamais seule, la mienne ne fera pas exception … Pour les plus sensibles, il y a toujours d’autres textes moins symboliques que ceux de la série « Rouge Fiction » qui abondent sur mon blog, vous m’en êtes témoins !

C’est en me réveillant de ma cuite au rouge le lendemain matin que je me suis rendu compte que je n’étais plus seul, et que tous les trois, nous avions été lâchement assassinés avec, comme les murmures qui bourdonnaient autour de nos cadavres éventrés le laissaient entendre, un ou des objets contondants. Mon deuxième décès en une seule semaine, ça commençait à m’inquiéter quelque peu ! Tout l’intérieur de la voiture était maculé de rouge. L’odeur du sang combinée avec la chaleur humide du bord de mer était irrespirable et intolérable, presque mortelle, je dirais !

Je reconnaissais les airs de ma vengeresse à travers ceux de la trompette de Wynton Marsalis que mon Bébé vert diffusait encore malgré le saccage qu’elle avait subi. Sur la banquette arrière gisaient deux corps internes. Je découvrais  l’homme au trousseau de clés, celui qui m’avait redonné la possession de ma rougeoyante, la veille, mettant fin à ma cuite avinée. De toute évidence, il s’était défendu. Son visage tailladé avait assurément souffert et plusieurs de ses doigts semblaient partiellement manquants. En tout cas, ils n’étaient pas tous réunis autour de la même main, c’est certain. Il était assis au fond du véhicule, les jambes recroquevillés sur les épaules, la tête tournée vers moi, un seul œil encore ouvert, les deux bras du même côté comme pour quémander de l’aide. Le rouge ne lui allait pas bien … C’était sa dernière mort, cela ne faisait aucun doute dans le peu d’esprit qu’il me restait.


L’autre corps était de dos. Au début. Mais de la même couleur. Les murmures le retournèrent, et je reconnus rapidement les lèvres dont j’avais tant vu les mouvements tout au long de la montée de l’alcool en mon sang. Le visage était intact, blanc comme neige, comme vidé de son précieux liquide vital. Ses mains, ses grandes mains avaient, elles, subi quelques blessures, possiblement au moment de se défendre. Heureusement que j’étais mort aussi, car j’aurais pu être soupçonné de les avoir amochés de la sorte ces deux-là. Ils étaient dans MA voiture tout de même.


Je ne semblais pas trop charcuté, échiqueté, à première vue, si j’en crois le peu de soins que les murmures semblaient me prodiguer. Je restais là, aussi mort que possible, sans me plaindre, sans demander mon reste, alors qu’ils s’occupaient à débarrasser ces deux zigotos qui m’avaient fait l’honneur de décéder sur la banquette arrière de ma rougeoyante, plus intérieurement rougeoyante que jamais, vengeresse. Ils murmurèrent et murmurèrent encore jusqu’à ce que les deux corps morts soient déplacés et emportés dans l’ailleurs définitif pour ceux dont la dernière mort vient de les attraper une première fois, puis se mirent en frais de me transporter à mon tour, le temps, je le présumais, de compléter le nettoyage déjà entrepris des banquettes, des moquettes et de tous les accessoires rougis par tous ces évènements.


Je fus ainsi déposé, je n’en étais pas à un déplacement près, sur une civière qui roula il me semble bien, d’elle-même vers ce qui m’avait semblé être une salle d’urgence où le blanc lumineux de certains lieux côtoyait le rouge terne de certains autres. Puis, sans aucun murmure, je fus oublié là jusqu’à la guérison complète et entière.


Il y avait dû y avoir un sifflement, peut-être deux, pour cesser le calcul du temps, parce que je n’ai pas vu le temps passer, d’une part, et que, d’autre part, à la sortie de cette salle, debout, alors que je présentais ma carte d’assurance-mortalité, la facture ne comportait aucune date, ni pour l’entrée, ni pour la sortie. J’étais blanchi, dérougi … cette seconde mort n’avait eu aucune emprise sur moi.
 
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Rouge vin

22/4/2016

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Épisode 4

Pendant que je ronronnais sur un banc de la halte routière avec les restes de mon bonheur rougeâtre au creux de ma main aux cinq doigts complets, la vie, ailleurs, se poursuivait sans moi. À la maison, mon absence ne surprenait personne. À vrai dire, en ce troisième jour qui s’éteignait doucement, aucune conversation n’en faisait même mention. C’était un peu comme si je n’avais jamais habité à cet endroit, à part les vêtements qui s’accrochaient encore à quelques cintres de ma garde-robe et quelques claviers qui étaient restés en plan dans mon bureau, las de se faire taper dessus.

Aux soins intensifs des voitures rouges, les « rougisses » de métier avaient d’ores et déjà évalué les dégâts sans, toutefois, être arrivés à en déterminer la cause. Ma vengeresse, grisonnante, ne gémissait plus, moteur éteint. Elle ne saignait plus non plus. Un grand spécialiste du centre provincial de « rougissement » avait été mandaté pour diriger les travaux de reconstruction, vu le certificat de garantie de remise à neuf déniché dans le coffre à gant de la voiture. Cependant, la composition exacte du rouge de la robe de ma vengeresse étant plutôt rare, le maitre « rouget » fut aussi appelé en renfort pour assurer des résultats aussi près de la perfection que possible.

Pendant une semaine, l’ordre fut donné de mettre le temps de côté. Je n’en fus averti que plus tard, une fois la semaine passée. Tous les maitres-coloristes, autant les rougets, les bleuets que les violets ou les « jauneorangétirantsurlerougefoncés », tous peuvent soumettre une telle requête. La plupart du temps, en tout cas lorsqu’un cas comme celui du rouge écarlate de ma vengeresse l’exige, la plupart du temps, donc, l’ordre suit rapidement et peut durer plus d’une semaine. Le temps n’est plus compté. Ni les minutes, ni les heures, ni les jours, ni les dates ne bougent. C’est comme un trou noir qui aspire le temps, tout le temps, pendant une semaine. Une semaine que seul celui qui a le pouvoir de donner un tel ordre peut mesurer, vu qu’il n’y a plus de calcul du temps.

Pendant ce temps, ou plutôt puisqu’il n’y avait plus de temps, pendant la durée qui n’était plus calculée sauf par celui d’où émanait l’ordre, le temps n’existe pas mais tout continue normalement, sauf tout ce qui se rapporte au temps lui-même. Personne n’arrive en retard nulle part, et personne ne quitte son poste à l’avance. Cependant, personne n’arrive à perdre son temps. Les dates d’anniversaire sont décalées, les jours ne sont plus nommées, les mois s’anarchisent, et une semaine parait courte pour certains et interminable pour d’autres. Aucune balise ne résiste. Tous vivent suspendus entre la grande et la petite aiguille qui n’oscillent plus qu’ensemble !

Le début et la fin de la période sont toujours marqués par un sifflement que toutes les oreilles entendent distinctement, lequel s’accompagne d’un éclair qui colore le ciel aux teintes du maitre coloriste à l’origine de la suspension du temps. Ces deux évènements simultanés ne durent que quelques fractions de temps. Ils ne surprennent personne. C’est de cette manière que j’en ai été averti, que j’ai su que le temps avait été mis au rancart à cause de la recoloration de la robe de ma vengeresse.

Le strident sifflement et le ciel rouge frappèrent le cristal de ma coupe au moment même où j’allais lui remettre une pleine rasade de rouge. Assis à une terrasse, devant une personne que je ne connaissais ni d’Adam, ni d’Ève, et qui vidait le sac de sa vie sur la table, je dégustais un bon rouge sans me poser trop de questions, verre après verre, sans vers entendre, et sans voiture au parking … Mes oreilles qui, pour l’occasion, n’avaient pratiquement aucune autre utilité que le support de mes lunettes et un service d’urgence pour les sons impératifs, avaient relégué leur travail d’écoute aux yeux. Ceux-ci fixaient ces lèvres fébriles, haletantes presque, qui alignaient des mouvements devant, je le présumais, former des mots, puis des phrases, mais je n’en avais aucune résonance. Mes fonctions « oreilles » étant confiées aux yeux, le repos était complet, et le jeu était plutôt amusant, particulièrement sous les lumières rouges avinées.

Alors que ma main gauche, d’un geste plus machinal qu’utile, faisait semblant de relever adéquatement mes verres, je remarquai cette tache écarlate qui se baignait au creux de la paume de celle-ci. Au même moment, était-ce les effets de l’alcool ou une quelconque révélation, je ne sais trop, mais je revis passer, en un clin d’œil, des dizaines d’images entre mon iris et ma pupille. C’est vous dire comment ce fut à la fois rapide et flou !

Je repris une bonne gorgée, et encore, je fis cul sec ! Les lèvres devant moi s’arrêtèrent net.

Je fixai l’intérieur de ma main. Les images indéchiffrées ne me parvenaient plus, le train était passé. Rouge, je le touchai, doucement, tout en regardant le doigt de service : sec ! Le rouge datait, assurément. Mais la couleur me semblait pure.

Je levai les yeux. Devant moi se tenait maintenant un homme, debout. Il me tendit un trousseau de clé que je reconnus. Ce soir-là, je dormis dans ses bras, sur le siège avant conducteur, sans oser en démarrer le moteur et sans en remarquer la couleur …
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Rouge robe

20/4/2016

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Épisode 3

Des mains sales, tachées d’huile, essayaient de m’empoigner sans se tacher davantage, moi qui aurais pu faire rougir M. Net lui-même, ayant passé deux jours dans la machine à laver des vagues de la mer. Pour eux, les quelques grains de sable qui osaient encore se coller à mes vêtements semblaient être le summum de la saleté, et l’odeur de fond marin qui se dégageait de ma personne encore humide de sommeil ne les incitait pas à s’approcher de moi de trop près.

À quatre mains au moins, ils finirent tout de même par m’extirper du siège du conducteur de ma vengeresse dérougie pour littéralement me déposer sur la chaine d’un trottoir inexistant à plusieurs mètres de ma voiture. De l’endroit où j’étais assis, je ne voyais que des fonds de culotte frénétiques et des pieds qui, à travers des piaillements et un brouhaha pratiquement indescriptible, s’agitaient en tous sens pour ne pas, d’une part, toucher la mare rouge et mystérieuse toujours  au sol et pour, d’autre part, essayer de voir ce qui se passait avec ma vengeresse.

Pauvre vengeresse ! Dénudée de sa rouge robe rougeoyante, elle gisait au milieu de tous ces badauds quasi-cadavériques qui semblaient, pour moi, joncher le sol de leur regard inquisiteur, et qui observaient les quelques travailleurs qui cherchaient le meilleur moyen de lui porter secours sans trop se mouiller, sans trop se rougir les bottines en fait.

Certains lancèrent l’idée qu’il fallait d’abord nettoyer les dégâts liquides avant d’emporter ma Dodge aux soins intensifs. De nouveaux travailleurs furent demandés, et d’autres rumeurs expliquant les causes de cette mare écarlate ainsi que ses conséquences démarrèrent sur, je dirais, les chapeaux de roues ! Les experts aspirèrent, frottèrent, lavèrent, désinfectèrent, remettant presqu’à neuf tous les matériaux touchés par cette étrange calamité alors que les badauds déblatéraient de plus belle. L’opération se déroula avec lenteur et minutie, comme si le spectacle avait intérêt à durer longtemps.

Je m’étais un peu assoupi sur l’herbe, toujours un peu à l’écart de ce qui était devenu une véritable foule. Personne ne se préoccupait de ma présence. J’aurais explosé et les bruits de toute cette excitation auraient sans aucun doute couvert celui de la déflagration. Ils auraient inclus le nettoyage sans prendre garde aux lambeaux de chair et aux morceaux de cervelle …

Une fois le grand débarbouillage terminé, et le sol autour de ma vengeresse remis à neuf, le ré-asphaltage complété et les belles lignes blanchâtres du stationnement repeintes, d’autres spécialistes, dont celui qui avait participé à mon extirpation, lancèrent la troisième phase du processus, celle qui consistait à transporter ma vengeresse aux soins intensifs. L’équipe déploya ses hommes et la foule ouvrit un corridor pour que la lourde dépanneuse à plateforme mobile puisse s’exécuter. L’opérateur, précautionneusement, se mit à l’ouvrage. J’avais presque l’impression qu’il dialoguait avec ma vengeresse tellement il la cajolait. Mais sans sa robe rougeoyante, elle n’avait pas beaucoup de manières, je dois l’avouer.

Un peu grise, elle quitta sur son piédestal … La foule se tut … et se dispersa rapidement dans un silence lourd.

​Oublié sur place, j’ouvris la seule main complète que j’ai dans laquelle j’avais gardé quelques gouttes de la précieuse robe de ma vengeresse. L’intérieur de ma main en était, je le croyais, à jamais coloré. Ainsi rassuré, je profitai du calme revenu pour contempler quelques-uns de mes rêves, l’œil fermé… jusqu’au prochain épisode.
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Écarlate

19/4/2016

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Épisode 2

Personne n’avait remarqué mon absence. Deux jours, deux jours complets s’étaient écoulés avant que l’ordre de ma femme ne se donne aux autres membres de la maisonnée de s’atteler à la tâche avec elle pour nettoyer les taches que mon rouge mélange avait laissées dans l’épisode précédent. Elle y avait gouté, fin limier, mais n’avait pas apprécié la teneur en tabasco ! Ainsi, dans un silence déconcertant, et sans maudire, et sans mot dire non plus, les deux enfants et ma femme avaient fait totalement disparaitre ma tentative de détournement de pistes en se disant que, de toute manière, sans cadavre dans la salle de bain, les traces n’avaient aucun intérêt. J’aurais été fier de leur raisonnement, à tout prendre.

Il allait me falloir trouver autre chose …

Le soleil du matin finissait d’assécher mes vêtements quelque peu ensablés, alors que mes muscles vibraient encore de grelotements compréhensibles. Mon esprit était calme mais il me restait un gout salé en bouche, assez désagréable. Mes poumons reprenaient leurs fonctions primaires. Les fortes vagues un peu choquées du fleuve rejetèrent ma vengeresse sur la plage, aussi rougeoyante qu’auparavant, comme pour bien me signifier leur dégout d’une telle mécanique encombrante. Elle toussota un moment, pleurnicharde, puis reprit son ronronnement « dodgéatoire » bien connu, et m’offrit sa portière restée ouverte comme un ami tend la main, généreusement.

J’ai dû user de ruse et y mettre les efforts nécessaires pour rejoindre la halte routière car le sable de la plage tentait par tous les moyens de nous retenir, pneu par pneu, sur la grève. Lorsque les premiers touristes s’arrêtèrent pour se reposer, je n’étais que l’un d’eux, et ma vengeresse rougeoyait de tous ses feux.

Je la laissais s’égoutter lentement avant de reprendre la route. Serait-ce vers l’est pour m’enfoncer davantage vers mes racines encore à fleur de peau ou vers l’ouest pour retrouver ces trente dernières années et plus qui me la brulent ?

Une fois sans vie, tout est permis !

Les deux derniers jours avaient été plutôt mouvementés. Ne sachant pas nager, j’avais dû me débrouiller avec les fonds rocailleux du fleuve. J’avais été bercé plus qu’un coquillage ne pouvait le supporter. La houle de la nuit et l’écume des jours m’avaient terriblement épuisé. Et ces réflexions du matin sur la direction à prendre me pesaient … De cette vie qui s’enfuyait, qui s’éloignait de ma réalité, je ne retenais que la fatigue … pour le moment !

Je remis donc en marche mon petit iPod vert, précieux cadeau que ma vengeresse laisse brancher en permanence sur sa radio, et le saxophone de Parker entraina les autres à m’enfoncer dans mon siège où Morphée m’enveloppa longuement dans ses bras …

À mon réveil, l’heure qu’indiquait le tableau de bord de ma vengeresse ne donnait pas la notion de date. La nuit commençait déjà à tomber. Il ne restait déjà plus que des reflets de rayons de soleil qui parvenaient de derrière l’horizon, au loin. J’étais moite. L’humidité était malsaine. J’entendais murmurer à travers la musique que mon bébé vert diffusait encore, sans se fatiguer. J’avais peine à ouvrir les yeux. Je n’étais qu’inconfort et humidité ! Mes muscles n’enduraient plus le poids de mes os. Pour me libérer de l’emprise de mon siège d’où j’étais demeuré prisonnier toute la journée, pour ainsi dire,  je déclenchai la portière avec lenteur, épuisé que j’étais, et au même moment, les murmures se changèrent en onomatopées.

Des gens entouraient ma voiture, de tous les côtés …

Pas tout près, tout près … non, non … pour éviter de patauger dedans…  à quelques mètres, en observant ce qui leur apparaissait comme un phénomène nouveau, étrange, un rouge vengeur peut-être, je ne sais trop.

Pendant mon sommeil, goutte à goutte, ma rougeoyante vengeresse avait saigné de toute sa laque rouge. Une grande mare écarlate l’entourait, reflétant tous ces visages ébahis et stupéfaits. Je n’osais croire qu’elle avait délaissé son propre lustre … 
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Rouge mélange

17/4/2016

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Au frigo, j’avais facilement mis la main sur un distributeur de ketchup, pour la couleur, et le pot de mayonnaise, pour en épaissir la texture. J’avais profité de l’absence de chacun dans la maison pour préparer mon savant mélange et pour mettre mon plan à exécution. Au fond d’un bol, j’avais d’abord déposé généreusement plusieurs jets du liquide rouge aux tomates, sans les frites, auquel j’avais par la suite ajouté quelques cuillerées de mayonnaise en touillant entre chacune d’entre elles jusqu’à obtenir la consistance recherchée. Un peu de sauce pimentée rougeâtre Tabasco terminait ma recette, élément essentiel venant crédibiliser l’ensemble de l’œuvre.

Patiemment, une fois les ingrédients bien remis à leur place d’origine, je me trempai une main dans ce mélange d’un rouge sang qui ne laissait aucun doute, tout en me dirigeant vers le sous-sol avec le plat dans l’autre main restée propre. Rendu au bas de l’escalier d’érable verni, je remontai celui-ci en prenant bien soin d’accrocher et le mur et les marches de ma main « blessée » pour que le mélange rouge puisse laisser sa marque. Je fis ainsi en titubant faussement jusqu’au rez-de-chaussée, puis jusqu’à l’étage et de même jusqu’à la salle de bain principale où je colorai copieusement les miroirs, les lavabos, le cabinet ainsi que tout ce que je trouvai sur mon passage. Tout se rougissait sur mes pas jusqu’à ce que le plat soit complètement vidé de son contenu.


Ayant bien pris soin de ne pas me rougir moi-même, et de ne pas laisser d’autres traces que celles que je voulais bien laisser paraître, je retournai à la cuisine pour nettoyer le bol et le ranger soigneusement.


Au dehors, ma rougeoyante vengeresse m’attendait, réservoir à ras bord. J’y pris place, et j’entamai la route vers l’est. À cette heure tardive, l’autoroute était plutôt calme. En fait, une fois la ville de Lévis derrière moi, pour l’heure qui suivit, le nombre de véhicules aurait pu être compté sur les doigts d’une seule main. Le jazz était doux à mes oreilles. Mon plan se déroulait tel que prévu.


Sortie La Pocatière, je quitte l’autoroute et me dirige vers la halte routière, celle où l’on voit le fleuve, la mer. J’allume une cigarette, la dernière … que je ne fume pas, n’étant plus fumeur depuis une quinzaine d’années, mais j’ai des principes à respecter. Appuyé sur le capot de ma fidèle Dodge rouge, j’observe la dernière se consumer, alors que la mer me nargue un peu de quelques vagues. Je cherche en même temps le meilleur endroit pour guider ma vengeresse car les accès ne sont que piétonniers.


À cette heure de la nuit, la halte n’accueille aucun visiteur. De temps à autres, les phares d’une voiture filant sur l’autoroute derrière moi m’éclairent brièvement, davantage que les lampadaires inefficaces de la halte. Tout n’est que calme, et puanteur de cette cigarette qui met beaucoup de temps à bruler car aucun poumon ne la pompe !


La fumée se dissipe enfin, et je redémarre le moteur de ma vengeresse. Je m’avance doucement, tous feux allumés. Sur le sable, la vengeresse rage un peu … J’ouvre la portière pour constater que la marée est descendante, et je ne la referme pas. J’avance tout droit, confrontant de mes phares l’horizon qui s’éloigne à ma vue, laissant cependant la mer s’approcher. Bientôt, ma vengeresse a le plancher dans l’eau et son moteur produit de drôles de vapeurs. Je serre le volant pour la rassurer. Portière toujours ouverte, elle continue, accélère même, et sous le menton, je sens l’eau qui me frôle. Elle aussi ne sait pas nager.


Quelques instants plus tard, nous coulons … ensemble, dans un beau bruit de vagues douces, emportés tous les deux comme un seul ami que nous étions. Au moins, personne ne pourra croire à l’accident …
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    Auteur

    Marc Bérubé

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