
Je reste calme, endormi je dirais. L’extraction du lit, c’est l’expression la plus juste que je puisse trouver, que l’on m’a fait subir pour m’amener dans cette salle que je ne connais pas m’a laissé un peu pantois. Je n’ai pas l’habitude, ou je l’ai perdue, des voyages en voiture, tôt le matin, très tôt le matin, les yeux bandés, forte musique dans les oreilles et diachylon sur la bouche. Du reste, je conserve un souvenir amer de l’enlèvement de ce dernier; il m’a semblé qu’une forte couche de barbe l’avait également accompagné, précédant le léger cri que ce « sursaut » de douleurs avait initié chez moi, probablement dû au fait que je n’avais pas été prévenu que quelqu’un allait me retirer ce ruban ardemment collé à mon visage. Puis, en me fouillant dans les oreilles, un bon samaritain retira les éléments qui m’étourdissaient d’une musique aussi abrutissante que celle que l’on entend lors de certains évènements sportifs d’une manière récurrente. Et enfin, me déliant les mains pour me remettre mes verres, le noir bandeau fut remplacé sur mes yeux par la monture de mes lunettes, d’où les yeux de chat endormi.
Ma tête tourna lentement sur son axe pour tenter de reconnaitre les gaillards et les bachibouzouks qui se tenaient là, la plupart assis, autour de moi. En vain… Ils m’étaient tous parfaitement étrangers, de l’Adam jusqu’à l’Ève ! Sauf ce grand crétin qui était resté debout, bandeau noir dans une main et écouteurs dans l’autre. C’était lui, mon triple idiot d’observateur plus inerte qu’indépendant sur le « CÉPTÉCDEVMQANJÉSPSPBQLRASVSIEP », soit le « Comité d’Étude Pour Trouver l’Élément Contenu Dans l’Eau de la Ville de Montréal Qui Abaisse le Niveau des Joueurs des Équipes Sportives Professionnelles à Son Plus Bas et Qui Les Rend Amorphes, Sans Vie, Sans Intérêt, Et par le fait même, Perdants ».
Nous étions assis en une espèce de cercle mal formé, comme si des enfants, de jeunes enfants, avaient disposé les chaises d’une manière malhabile. Il y avait là une bonne trentaine d’imbéciles, chacun un verre d’eau à la main. Il le tenait comme un objet précieux, comme si tout le contenu de leur rapport d’enquête était contenu dans ce contenant de quelques onces. Personne n’en buvait. Ils n’avaient pas daigné m’en placer un entre les mains, ignorant sans doute ma soif de connaissances.
La scène resta fixe, figée dans le temps pendant quelques minutes. Aucun bruit, aucune parole, aucun geste, aucun mouvement des yeux, et ce grand crétin, debout, un peu sur ma droite, finit tout de même par échanger le bandeau noir et les écouteurs qu’il tenait entre ses mains pour un verre d’eau, comme ses confrères dans un silence de mer d’huile. Moi-même, je me prenais à admirer, à contempler le déroulement de la scène. Le moment semblait unique, protocolaire.
Se plaçant directement devant moi, le grand crétin, en maitre de cérémonie improvisé ou déclaré, je ne sais trop, leva son verre, ce qui eut pour effet de faire se lever tous les bachibouzouks participant à ce qui devenait un rituel. D’un geste désarticulé, il versa le contenu tiède de son verre sur chacune de mes épaules, en proportions égales.
Je restai de glace. M’avait-on drogué à mon insu pour empêcher toutes réactions excessives ? Possible ! En tout cas, je n’en eus aucune, si ce n’est qu’un léger sourcillement pour tenter de le faire réagir, sans succès !
À la queue leu leu, une ronde s’entama, alors que chacun des bachibouzouks, avec leur armement minimal qu’ils tenaient dans une seule main, répétèrent le même geste en se déplaçant de droite à gauche jusqu’à ce que le dernier soit revenu à sa place d’origine et que tous les verres aient été vidés de leur contenu sur mes épaules.
Assis dans une flaque d’eau assez évidente, mouillé dans toute ma splendeur, je ne bougeais toujours pas, même si je pouvais percevoir quelques-uns de mes os commencer à s’entrechoquer de grelottements, car la température de l’eau se refroidissait. Le grand crétin qui, je l’avais compris, n’était vraisemblablement pas un observateur désigné mais un président assigné de cet impétueux comité, se replaça légèrement à ma droite et clama d’un ton frêle, à la manière d’un bègue dont le texte a été écrit par un sourd qui ne veut plus entendre parler de rien :
« Vous vouliez un rapport sur l’élément contenu dans l’eau de la ville de Montréal ? Un élément quelconque qui influencerait négativement les membres des équipes professionnelles sportives qui en consommeraient ? Vous venez de recevoir simultanément notre rapport et la preuve qu’aucun élément n’influence qui que ce soit. Vous le constatez vous-même, assommé que vous êtes sur votre siège. À bon entendeur… »
Une voix lointaine annonça que la séance plénière, la toute dernière d’une longue série du comité « CÉPTÉCDEVMQANJÉSPSPBQLRASVSIEP » était levé, mettant ainsi fin aux activités et à l’existence de ce dernier. Les uns derrière les autres, précédés par le grand crétin, ils quittèrent la pièce, me laissant là, détrempé, abasourdi, bien imbibé du rapport de leurs délibérations, assis sur et dans la preuve que l’eau de la ville de Montréal ne contient aucun agent pouvant faire réagir une personne normalement constituée. Prenant le soin de bien étudier leur rapport, je restai suffisamment longtemps pour assécher le contenu du rapport jusqu’à plus soif.
Maintenant, je chercherai ailleurs pour tenter de comprendre la débandade des Alouettes et des Canadiens, particulièrement, puisque l’Impact a repris un peu de vigueur.