C’est un peu plus tard, au milieu de la soirée, que la lourde bête a commencé à chanceler, à tituber, sans que personne n’en prenne garde, sans qu’une seule branche d’arbre aux alentours ne casse ni ne plie … La nuit venue, l’effondrement fut total. Il n’y manquait que la mort pour que la révérence ne soit tirée …
Au lendemain, dès l’aube, alors que les activités de toute la faune et la flore allaient bon train, la bête bougeait à peine les quelques muscles nécessaires à sa respiration. Sa révolte était intérieure, sa souffrance aussi. Étendue au milieu de l’ignorance générale, elle repassait en boucle des bribes de tirs reçus la veille, rouvrant la plaie à chaque souvenir de plus en plus profondément, rajoutant même des relents pestilentiels à la souvenance déjà douloureuse. La guérison apparaissait longue, longue et pentue dans la mauvaise inclinaison de ses pensées négativistes.
Elle n’était plus qu’une bête meurtrie, inguérissable, que même la mort, seule délivrance possible, semblait avoir oubliée, par manque de courage. Ce vieux matin pâle et frileux, où le sommeil ne venait pas chasser les douleurs plus profondes que physiques, s’était transformé en longue journée sans bouger, dans un silence absolu. Il ne restait de vie que le simple bruit de la respiration, rien de plus. Dans la forêt environnante, le chant des oiseaux et la caresse du vent sur les nouvelles pousses estivales n’attiraient plus l’intérêt de l’ouïe de la bête.
La bête n’aura d’autres choix que d’exercer sa patience, avec ou sans douleurs, jusqu’à ce que la fin en vienne à bout. Ce qui désole le plus pour une telle bête, c’est la vision des autres, pas le regard qu’ils entretiennent sur la bête, mais la méconnaissance qu’ils en ont. Cachée dans son antre, elle s’isole un peu plus à chaque souffle, ne pouvant en éprouver davantage de par sa propre nature animale.